Mes tous premiers pas en Afrique – Burkina Faso

13 juillet 2000. Que s’est-il passé en sortant de l’avion, pris par l’élan spontané de m’agenouiller et de poser mes mains et ma bouche sur le tarmac de l’aéroport de Ouagadougou ?

3/9/20255 min read

13 juillet 2000. Que s’est-il passé en sortant de l’avion, pris par l’élan spontané de m’agenouiller et de poser mes mains et ma bouche sur le tarmac de l’aéroport de Ouagadougou ? C’était les toutes premières secondes de mon premier séjour au Burkina Faso et sur le continent africain. Et j’étais saisi à l’intérieur de quelque chose que je ne savais nommer.

J’arrivais sans connaissance particulière sur l’Afrique, hormis des bribes du peu qu’on nous enseigne sur les bancs de l’école jusqu’au lycée en France. J’étais excité à l’idée de voyager dans un nouveau pays, sur un nouveau continent. Je n’avais pas d’appréhension particulière, plutôt de l’envie, de la curiosité et volontairement ouvert en veillant à ne pas débarquer avec un lot pesant d’idées fausses et de préjugés sur l’Afrique et les Africains, entendus chez certaines personnes ou dans les médias.

Avant de toucher terre à Ouagadougou, l’avion avait fait escale à Bamako. En survolant la capitale malienne, et c’est ce que j’ai vu en premier à travers le hublot, ce sont les maisons claires, la terre rouge, des petites poches de verdure, des passants dans les rues et un terrain où des jeunes jouaient au foot, une bonne entrée en matière pour un passionné du ballon rond comme moi.

Mais retournons à Ouagadougou, en abrégé Ouaga. On a donc atterri. Je suis devant la porte et avant de descendre de l’avion, je respire profondément ce bon air chaud qui caresse mon visage. Quelques secondes et quelques mètres plus bas, je pose mes genoux, mes mains, j’embrasse le tarmac et c’est là que mon histoire avec l’Afrique a commencé.

Assis à l’arrière d’un taxi, en route vers notre hébergement, je regarde silencieusement la vie dans les rues, les femmes, les hommes, les enfants, les vendeurs ambulants, toutes ces couleurs, tous ces étals qui regorgent de beaux fruits et légumes, les épices, les beignets, les grillades, tout ça dans le bourdonnement de la circulation… Plus tard une fois arrivés, la nuit qui vient et le calme en m’isolant un peu du groupe, trouvé sur un petit banc dans le jardin…

Nous étions un groupe de plusieurs étudiants partis avec l’aide d’une petite association basée à Marseille, Vivre & Grandir. Quelques mois auparavant, ils avaient gentiment accepté que je prenne la place de mon frère (ils étaient ensemble à la fac) et qui avait un autre programme pour son été là. Nous formions une bonne petite équipe avec devant nous une semaine à Ouaga puis un mois à Tougouri, une commune à environ trois heures de route au nord-est de la capitale.

Le lendemain de notre arrivée, le 14 juillet, il y avait la réception pour la fête nationale à la résidence de l’Ambassadeur de France. Nous nous y rendons et je me fais pointer à l’entrée car je n’ai pas de cravate. Une fois passées le contrôle à l’entrée, mes accompagnatrices trouvent un complice qui m’envoie sa cravate à quelques mètres de là par-dessus le mur. On est loin d’être les seuls à utiliser cette astuce.

Ce qui m’a le plus marqué au cours de cette soirée, c’est surtout la deuxième partie qui s’est déroulée au bord de la piscine de l’ancien hôtel Silmande. Plus précisément, ce n’est pas l’ambiance globalement joyeuse, le champagne qui coulait à flots ou les belles femmes qui trempaient leurs pieds dans l’eau. C’est une séquence bien précise, quand j’ai vu de l’autre côté de la piscine, près de la piste de danse, un homme blanc d’âge avancé qui s’en est pris à un serveur burkinabé, avec un ton et une attitude détestables, avec une gestuelle agressive et des mots que je n’entendais pas où j’étais mais cela respirait un esprit de supériorité et un manque de respect total du serveur. Il avait pris une assiette pour la lancer par terre et je ne sais pas si les petits-fours n’étaient pas assez chauds ou le champagne pas assez frais mais monsieur n’était pas du tout content et a fait étalage de sa vulgarité et son dédain sans que cela ne vienne perturber ses voisins rougis non par la honte ou la gêne mais par l’excès de soleil et d’alcool et qui ont repris illico leur danse ou leur discussion.

C’était ma toute première sortie le soir et me voilà déjà face à ce qui n’est plus un cliché du vieux blanc qui se croit en terrain conquis et qui se permet de rabaisser quelqu’un qui lui sert à boire et à manger. Cela a contribué à me rendre particulièrement vigilant ensuite à tout ce qui se jouait dans les interactions quotidiennes et à essayer d’éviter d’être perçu comme l’homme blanc qui à son tour, se croit tout permis et parler de se conduire de manière méprisante. Ce n’était pas moi et ce n’est pas l’éducation que j’ai reçue. Mais c’est resté un sujet sensible jusqu’à ce jour et sur lequel j’ai du mal à garder mon calme.

Les soirées suivantes à Ouaga étaient plus douces, à déambuler dans certains quartiers de la capitale, faire de jolies rencontres. Je m’y sentais si bien et nous sommes partis au bout d’une semaine à Tougouri. Notre séjour a pris encore une autre dimension, hors de la capitale et dans une petite commune, en étant proches des habitants au quotidien et avec accès à la brousse non loin pour des petites escapades en mobylette et se gorger du parfum du karité que je découvrais avant de le retrouver plus tard dans son succès en crèmes vendues partout dans le monde.

À Tougouri, nous avions un petit projet étudiant dans un centre de nutrition comme il existe des milliers et nous étions dans un état d’esprit lucide, conscients que nos activités étaient très limitées et modestes (aide pour différentes tâches avec le personnel du centre, développement d’un potager, travaux d’irrigation) sur un temps court qui plus est.

Il y avait tant de choses à voir, à vivre en quelques semaines. J’avais soif de rencontres et de partages, et j’étais servi en la matière, avec tant à apprendre et je commençais à réaliser que je vivais et ressentais des choses qui allaient avoir un impact décisif sur la suite de ma vie. Je l’ai définitivement compris à mon retour à Marseille en août, en ouvrant ma valise dans ma chambre. J’ai été saisi d’un sentiment fort, comme une certitude, accompagné par des chansons de Youssou N’Dour avec un CD acheté auprès d’un vendeur à la sauvette sur le parking de l’aéroport avant de quitter le Burkina.

Je suis rentré, j’ai repris mes études. Si on m’avait dit à ce moment-là que quelques années plus tard, comme cela s’est réalisé, j’irai vivre et travailler au Sénégal, le pays de Youssou N’Dour, et plus tard encore au Burkina Faso, j’aurais signé sans hésiter.

Évidemment, si on m’avait dit aussi que j’ai embrassé le tarmac que foulerait si souvent pour son travail la femme que j’épouserai plus de 20 ans plus tard, une princesse du pays des hommes intègres... j’aurais signé tout de suite aussi. De là à y voir une forme d’intuition ou une autre lecture de l’évènement...

Ce qui m’a saisi ce 13 juillet 2000, c’est à la fois une sensation et un sentiment, certains l’appellent le virus africain quand quelqu’un est marqué à vie par l’Afrique. Je n’aime pas cette expression, quelle mauvaise idée de parler de virus. Enfin, je n’ai peut-être pas le mot qu’il faut, mais ce que je sais c'est que depuis ce jour, l’Afrique est arrivée dans ma vie et depuis elle fait partie de moi.